capa de Poésies Choisies
Capa com foto de Paul Valéry (1871-1945)

 

			            LE CIMETIÈRE MARIN
			

			Ce toit tranquille, ou marchent des colombes,
			Entre les pins palpite, entre les tombes ;
			Midi le juste y compose de feux
			La mer, la mer, toujours recommencée!
			O récompense après une pensée
			Qu'un long regard sur le calme des dieux!
			
						II
			
			Quel pur travail de fins éclairs consume
			Maint diamant d'imperceptible écume,
			Et quelle paix semble se concevoir!
			Quand sur l'abîme un soleil se repose,
			Ouvrages purs d'une éternelle cause,
			Le Temps scintille et le Songe est savoir.
			
						III
			
			Stable trésor, temple simple à Minerve,
			Masse de calme, et visible réserve,
			Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi
			Tant de sommeil sous un voile de flamme,
			O mona silence !... édifice dans l'âme,
			Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit!
			
						IV
			
			Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,
			A ce point pur je monte et m'accoutume,
			Tout entouré de mon regard marin;
			Et comme aux dieux mon offrande suprême,
			La scintillation sereine sème
			Sur l'altitude un dédain souverain.
			
						V
			
			Comme le fruit se fond en jouissance,
			Comme en délice il change son absence
			Dans une bouche où sa, forme se meurt,
			Je hume ici ma future fumée,
			Et le ciel chante à l'âme consumée
			Le changement des rives en rumeur.
			
						VI
			
			Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
			Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
			Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
			Je m'abandonne à ce brillant espace,
			Sur les maisons des morts mon ombre passe
			Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir.
			
						VII
			
			L'âme exposée aux torches du solstice,
			Je te soutiens, admirable justice
			De la lumière aux armes sans pitié!
			Je te rends pure à ta place première:
			Regarde-toi !... Mais rendre la lumière
			Suppose d'ombre une morne moitié.
			
						VIII
			
			O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
			Auprès d'un cœur, aux sources du poème,
			Entre le vide et l'événement pur,
			J'attends l'écho de ma grandeur interne,
			mère, sombre et sonore citerne,
			Sonnant dans l'âme un creux toujours futur!
			
						IX
			
			Sais-tu, fausse captive des feuillages,
			Golfe mangeur de ces maigres grillages,
			Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
			Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
			Quel front l'attire à cette terre osseuse?
			Une étincelle y pense à mes absents.
			
						X
			
			Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,
			Fragment terrestre offert à la lumière,
			Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
			Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres,
			Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;
			La mer fidèle y dort sur mes tombeaux!
			
						XI
			
			Chienne splendide, écarte l'idolâtre!
			Quand solitaire au sourire de pâtre,
			Je pais longtemps, moutons mystérieux,
			Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
			Éloignes-en les prudentes colombes,
			Les songes vains, les anges curieux!
			
						XII
			
			Ici venu, l'avenir est paresse.
			L'insecte net gratte la sécheresse;
			Tout est brûlé, défait, reçu dans l'aix
			A je ne sais quelle sévère essence....
			La vie est vaste, étant ivre d'absence,
			Et l'amertume eh douce, et l'esprit clair.
			
						XIII
			
			Les morts cachés sont bien dans cette terre
			Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
			Midi là-haut, Midi sans mouvement
			En soi se pense et convient à soi-même....
			Tête complète et parfait diadème,
			Je suis en toi le secret changement.
			
						XIV
			
			Tu n'as que moi pour contenir tes craintes !
			Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
			Sont le défaut de ton grand diamant....
			Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
			Un peuple vague aux racines des arbres
			A pris déjà ton parti lentement.
			
						XV
			
			Ils ont fondu dans une absence épaisse,
			L'argile rouge a bu la blanche espèce,
			Le don de vivre a passé dans les fleurs !
			Où sont des morts les phrases familières,
			L'art personnel, les âmes singulières ?
			La larve file où se formaient des pleurs.
			
						XVI
			
			Les cris aigus des filles chatouillées,
			Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
			Le sein charmant qui joue avec le feu,
			Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
			Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
			Tout va sous terre et rentre dans le jeu!
			
						XVII
			
			Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
			Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge
			Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici?
			Chanterez-vous quand serez vaporeuse?
			Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse,
			La sainte impatience meurt aussi!
			
						XVIII
			
			Maigre immortalité noire et dorée,
			Consolatrice affreusement laurée,
			Qui de la mort fais un sein maternels,
			Le beau mensonge et la pieuse ruse!
			Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
			Ce Crâne vide et ce rire éternel!
			
						XIX
			
			Pères profonds, têtes inhabitées,
			Qui sous le poids de tant de pelletées,
			Êtes la terre et confondez nos pas,
			Le vrai rongeur, le ver irréfutable
			N'est point pour vous qui dormez sous la table,
			Il vit de vie, il ne me quitte pas!
			
						XX
			
			Amour, peut-être, ou de moi-même haine ?
			Sa dent secrète est de moi si prochaine
			Que tous les noms lui peuvent convenir!
			Qu'importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche!
			Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
			A ce vivant je vis d'appartenir!
			
						XXI
			
			Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Élée!
			M'as-tu percé de cette flèche ailée
			Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!
			Le son m'enfante et la flèche me tue!
			Ah! le soleil.... Quelle ombre de tortue
			Pour l'âme, Achille immobile à grands pas!
			
						XXII
			
			Non, non!... Debout! Dans l'ère successive!
			Brisez, mon corps, cette forme pensive!
			Buvez, mon sein, la naissance du vent!
			Une fraîcheur, de la mer exhalée,
			Me rend mon âme.... O puissance salée!
			Courons à l'onde en rejaillir vivant!
			
						XXIII
			
			Oui! Grande mer de délires douée,
			Peau de panthère et chlamyde trouée
			De mille et mille idoles du soleil,
			Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
			Qui te remords l'étincelante queue
			Dans un tumulte au silence pareil,
			
						XXIV
			
			Le vent se lève!... il faut tenter de vivre!
			L'air immense ouvre et referme mon livre,
			La vague en poudre ose jaillir des rocs!
			Envolez-vous, pages tout éblouies!
			Rompez, vagues I Rompez d'eaux réjouies
			Ce toit tranquille où picoraient des focs!

 

        PAUL VALÉRY, POÉSIES CHOISIES, CLASSIQUES ILLUSTRÉS VAUBOURDOLLE, LIBRAIRIE HACHETTE, 79, Boulevard Saint-Germain, 1952, PARIS.


Notas:

O texto da gravura em água-forte, na página do equinócio serve de paráfrase ao Poema. É um trecho de Píndaro, em grego tanto na gravura como no início do poema. A tradução está em nota sob a ilustração: "N'aspire pas, ô mon âme, à la vie eternelle, mais épuise tout le champ du possible..."

O livrinho foi comprado em 1961, época em que Jean-Louis Barrault (?) se apresentou no Teatro Municipal do Rio, junto com uma troupe francesa na peça "Jeanne D'Arc au Boucher", se não me engano. Talvez por isso também tenha encontrado, então, um pequeno disco - não um longplay, mas um daqueles do tamanho de um prato de sobremesa - onde o grande ator declamava Cimetière Marin que, ouvi milhares de vezes como qualquer adolescente...

 

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